Ce week-end c’est le Carnaval : moment tant attendu ! La pré-chauffe de la semaine dernière nous avait impressionnée et mis l’eau à la bouche et plus souvent de la cachaça !
Je vous avais décris dans mon dernier article l’ambiance des blocos, ces fanfares folles qui arpentent la ville au son des percussions et des cuivres. Aussi, j’avais évoqué brièvement qu’un autre carnaval se déroulait à la nuit tombée au Sambodrome : le défilé des écoles de samba.
A force de répétition vous avez dut comprendre que nous faisons partis de l’école de samba Unidos da Viradouro ! et que notre costume, notre « fantasia » est le « Lampião ».
Nombreux ont été les curieux qui se sont posés des questions sur ce personnage du folklore brésilien. Ceux là vont être ravis à la lecture de ce post, les autres aussi je l’espère.
Tout d‘abord un récapitulatif du pourquoi de ce costume. Notre école a choisi de défilé sur le thème de « arrepiar » : frissonner. Les paroles de notre chanson, les chars allégoriques, les costumes, tout doit faire allusion à cette sensation : du froid au film d‘horreur en passant par l’amour. Et donc logiquement les histoires populaires qui font intervenir des personnages qui inspirent la peur dont le Lampião (prononcer L’un-pi-un-on).
Ce personnage est une figure légendaire. Né en 1900, tout rond, de son vrai nom Virgulino Ferreira da Silvia, il fut le chef de la principale bande de Cangaceiros (des bandits paysans) du Nordeste entre 1920 et 1938, année de son exécution.
La région du Nordeste, pauvre en eau, riche en cactus et végétation sèche, est l'une des plus anciennes régions habitées du Brésil et elle reste aujourd'hui une des moins développées. L’éducation y est rudimentaire et la société locale est dirigée par les grands propriétaires terriens qui sont par-là même, les hommes politiques locaux.
Le "cangaço " est en fait un banditisme social. Deux termes que l’ont n’a pas l’habitude de regrouper mais qui peuvent s’associés dans certains cas.
Le bandit social est en général membre d'une société rurale et, pour diverses raisons, considéré comme proscrit et criminel par l'État et par les grands propriétaires. Malgré cela, il continue à faire partie de la société paysanne dont il est issu, et il est parfois considéré comme un héro par cette société, qu'il soit un justicier, un vengeur, ou quelqu'un qui vole les riches.
Mais comment en arrive-t-on à vouloir tuer les forces de l’ordre et voler les plus riches pour redistribuer aux plus démunis ? À mon avis, le pas à franchir est plutôt simple quand, à 19 ans et fils aîné d’une famille nombreuse, on voit mourir son père, tué par la police pour avoir critiqué le politicard qui avait volé sa terre en toute impunité.
Lampião est donc très rapidement devenu, selon les points de vue : un justicier, un bandit ou un tueur. Il était chef d’une bande d’une centaine d'individus. Et il a bien enquiquiné son monde et surtout celui de l’ordre établi. L'état et les politiciens locaux étaient offensés par son prestige et sa puissance. Mais attraper et tuer Lampião n’a pas été une chose facile. Il était connu dans tout le pays, possédait des espions partout, ainsi que des amis. La majeure partie de la police envoyée contre lui n'était pas excessivement enthousiaste à l'idée de tomber en embuscade dans la brousse.
On pourrait faire l’analogie avec Robin des Bois, mais Lampião n’a pas fait que des belles choses avant de s’amuser au « justicier sans slip par-dessus le collant » ; il a commencé sa carrière en volant des vieilles femmes. Pas très jojo tout ça !
Etre bandit-justicier se n’était pas juste une manière de gagner de l’argent mais avant tout un style de vie et surtout une philosophie. Il y avait toute une culture avec ses attributs vestimentaires, ses codes de hiérarchie, ses rapports entre les genres, ses rituels d'initiation, ses valeurs culturelles et ses pratiques religieuses. Grâce au produit des vols et à la présence de plusieurs femmes parmi eux, les hommes de Lampião se parent d’accoutrements extravagants, portant des étoffes fines et arborant des pièces d’or, inondés de parfums de prix et bardés d’accessoires incrustés d’argent. Le buste serré par des cartouchières, le cou ceint d’un foulard de couleur vive, la tête couverte d’un chapeau aux bords relevés et brodés, ils façonnent une image baroque et romanesque qui enflamme l’imagination populaire. Mêlant raffinement et barbarie, ils fascinent et inquiètent à la fois. Des vrais people !
A cette théâtralisation s’ajoute chez Lampião un attrait certain pour la notoriété. Alors que toutes les polices de la région le recherchent, il accorde des entretiens à des journalistes et se laisse prendre en photo. Un film est tourné dans la clandestinité, qui montre les hors-la-loi dans des simulacres de combat ou dans des scènes de la vie quotidienne.
En cas de trahison ou de dénonciation à la police, les Cancageiros étaient impitoyables. Lampião allait jusqu’à l’extermination des familles entières de ses ennemis, attaquait les petites villes, tuant les policiers, rackettant les commerçant locaux, violant même les femmes parfois si elles avaient une relation avec des policiers ou des soldats, saisissant n’importe quelle richesse ou vivre. Ce dont il n’avait pas besoin, il le redistribuait à d’autres villages, s’assurant ainsi leur sympathie.
En juin 1938, alors que le roi du Cangaceiro désire mettre fin à sa "carrière", la cachette de Lampião fut révélée à la police par un commerçant qui parla sous la torture. Agissant par surprise, la police massacra à la mitrailleuse le petit groupe des 50 cangaceiros. Après un combat d'une vingtaine de minutes, 40 bandits réussirent à s'échapper, mais les chefs furent visés les premiers et Lampião et 10 de ses hommes furent abattus, ainsi que sa compagne, Maria Bonita. Les corps furent décapités et les têtes mises, comme trophées, dans des bidons de kérosène avec de l'eau et du gros sel.
Dès le début du siècle, les poètes populaires nordestinos immortalisent les prouesses des cangaceiros à travers une littérature régionale, et une sorte de chanson de gestes, le Cordel.
Sur les marchés et les foires, on chantera ou on lira à haute voix l'épopée tragique de ces héros d'autrefois. Les cangaceiros vivent toujours dans le folklore, la littérature, les bandes dessinées, la TV, les films et les chansons populaires.
Un petit bon dans le temps de seulement 70 ans, et nous voilà, avec Jérémie, Sandra et Delphine aux abords du Sapucai, une centaine de brésiliens déguisés en Lampião afin de donner pleins de frissons au public du Sambodrome.
Nous sommes contents d’avoir ce costume sur nos épaules même si le personnage était plutôt un bandit qu’un révolutionnaire.
Car ce personnage a (malheureusement qu’un tout petit peu) contribué à l’émancipation de la région du Nordeste, mais l’état présent est encore insuffisant. Là où Lampião a lutté il y avait et il y a encore trop d’ignorance, d’exploitation des plus petits et d’humiliation. De manière générale, l’indifférence des pouvoirs publics continue dans le Nordeste. L’économie brésilienne a beaucoup progressé ces dernières années, mais ce progrès a laissé de côté cette région qui vit de nos jours sous les mêmes apparences qu’au début du siècle dernier. Presque rien n’a vraiment changé depuis Lampião, rien n’est fait pour favoriser le travailleur qui par manque de patience et de retombées préfère souvent glisser sur des pentes qui lui font oublier sa dure vie.
Nous espérons que notre prestation marquera les esprits !